11-12-2008

Mathieu Lehanneur

Elasticité et plasticité : la dynamique Lehanneur Le parcours de Mathieu Lehanneur est fréquemment, et à juste titre, associé à l’idée de pharmacopée qui peut indifféremment agir sur le corps par des stimulations activées par le psychisme comme avec les Objets Thérapeutiques ou par la création d’équipements et autres objets actifs placés dans un environnement domestique. Le traitement du corps résulte d’un échange constant homéostatique. Son design est à cet égard remarquable car il témoigne d’un engagement constant dans la production d’une série de modifications à caractère thérapeutique de l’habitation par le design justement. Cependant, au-delà de la réinvention d’un design de la pharmacopée, qu’il s’agisse d’un effet placebo ou d’un soin allopathique, l’intérêt du travail de Lehanneur tient surtout à la dynamique des modifications qu’il provoque ; autant à celles que le sujet active sur son environnement domestique, que celles, en retour qui sont émises par l’environnement sur son état physiologique ou psychologique, et sur les échanges entre l’intérieur, le corps et ce qui l’environne. Ces autorégulations et interrelations sont soumises au principe de l’élasticité ; ce phénomène de tensions et d’étirement. Cette plasticité de l’esprit n’est pas éloignée de ce super héros américain de comics, Elastic Man, un des 4 Fantastiques dont le corps s’allonge bien plus que d’ordinaire et à volonté. Une telle notion d’élasticité, à la fois plastique, malléable et réactive, décrit précisément le mouvement qu’agence Lehanneur dans son travail et la manière dont il articule le design et habite les territoires du design. Une des premières modifications, et la plus évidente, est illustrée par After Thonet: un portemanteau dont le procédé de fabrication permet d’obtenir un bois mou, livré sous cellophane. Son propriétaire en fixe la forme et les variations avant de le solidifier définitivement. La transformation repose sur le geste individuel, sur une intervention d’auteur qui se fait en fonction de l’environnement et de la personne. Première étape d’une modification élastique manuelle et spatiale qui entraîne le corps, l’individu et l’environnement, elle peut se formaliser par une déformation comme celle de la matière avec le projet Feuillage artificiel en alliage à mémoire de forme ; la perception visuelle ou celle de la chimie : les passages et transitions entre plusieurs états agissant au final sur la personne. Il en est ainsi de la coupole illuminée Christofle, constituée de néons circulaires assemblés qui permet de présenter l’argenterie de la maison. En procédant non seulement par une démultiplication des objets dans le vaste miroir, mais aussi par les reflets de chacun des objets les uns dans les autres, créant ainsi un effet de dématérialisation et de mise en abîme, le dispositif perturbe la vision à l’infini. Pour continuer d’examiner l’œuvre de Lehanneur sous l’angle de l’élasticité, arrêtons-nous par exemple à la chaîne de restaurant Flood. L’intervention du designer se porte autant sur l’impact de l’environnement sur l’individu que sur l’action de ce dernier sur le lieu. Flood reprend le principe de production naturelle d’oxygène et d’échange gazeux déjà à l’oeuvre pour « O » , l’un des Eléments réalisés pour la Carte Blanche du VIA. En réponse à la baisse du taux d’oxygène constatée dans l’habitation, des micro-organismes, les spirulines, sont activées par photosynthèse et produisent en quantité de l’oxygène. De même, chez Flood, un large aquarium accroît l’effet assigné à l’espace domestique de « O », et surtout suspendues, les lampes, sortes de grappes transparentes en verre soufflé, matérialisent les fuites d’air et rendent ainsi l’invisible, un air chargé d’oxygène, visible. Des cinq Eléments, « O », « K », « Q », « DB » et « C° » à la Mosquito House où une architecture réalisée en collaboration avec R& Sie… invite des moustiques éventuellement mortels à se diriger vers une nasse inclue dans la double peau d’une architecture en Thaïlande, au House 213.6, domicile modulaire pour chats errants, tous les échanges matérialisent le principe d’élasticité. Il fait fi de la taille et de la nature des entités, qu’il s’agisse de cellules, du corps, de l’environnement intime, de l’espace, de la chimie, de la physique, etc. Que Lehanneur exhume ou pas des thérapies désuètes, qu’il amplifie des réflexes ou des processus déjà existants, qu’il réalise des objets, des produits ou des scénographies, il s’empare autant de la dimension cognitive du sujet que du couplage corps et environnement aux fins de mieux les réguler et d’en traduire la nature symbiotique. Toujours élastique et plastique, ses médiations modifient sans cesse la nature et les relations des champs d’expérience et d’expertise du design, toujours régit par la qualité transformatoire et dynamique des échanges dont l’élasticité témoigne évidemment de celle propre à leur auteur. Alexandra Midal Le terme d’élasticité est emprunté à Elastic Mind, titre de l’exposition à venir de Paola Antonelli au Museum of Modern Art de New York, et dans laquelle six projets de Lehanneur seront exposés. Avec les dernières recherches de Lehanneur sur une application inédite du miroir liquide, une matière visqueuse au pelliculage d’argent mise au point pour les observations astronomiques. Ce projet en cours de développement sera présenté à l’occasion de l’exposition Mathieu Lehanneur, commissariat Alexandra Midal, Artist Space, New York, Avril 2008.