09-10-2013

Vinciane Despret

Chaque animal est une manière de connaître le monde « Quand je préparais l’écriture du livre « Penser comme un rat », des scientifiques, à qui je présentais le résultat de l’enquête qui devait conduire à sa rédaction, m’ont suggéré de préciser, avant de l’appliquer à l’animal, ce que voulait dire « penser ». Cette suggestion, je crois que c’était bien leur intention, aurait dû me convaincre, soit d’utiliser un autre terme pour le rat (et donc de modifier mon titre), soit de restreindre considérablement la signification du terme « penser » de telle sorte à ce qu’il se limite à désigner quelques processus associatifs simples, communs, selon les scientifiques, aux rats et aux humains. Le problème aurait sans doute été similaire si j’avais décidé de dédier mon travail à d’autres domaines dont les humains se sont longtemps réservé l’exclusivité — aimer comme une oie, faire oeuvre comme un éléphant, créer comme un jardinier à nuque rose, mathématiser comme un orang-outan, voire être mélancolique comme un gorille. Loin de moi de penser que les termes que nous utilisons, dans chacun de ces cas, soient exactement équivalents à ce qu’ils désignent quand nous parlons de nous. Car le prétendre reviendrait non seulement à nier le sens et l’intérêt même de toute opération de traduction mais à considérer que la signification de chacun d’eux serait claire et stabilisée, lorsqu’il s’agit de nous. » Vinciane Despret enseigne au département de philosophie de l’Université de Liège. Elle est l’auteure de plusieurs expositions et ouvrages sur la question de la pensée animale