26-05-2008

Valérie Jouve

Valérie Jouve, née en 1964, vit et travaille à Paris. Photographe et vidéaste, Valérie Jouve construit une œuvre photographique et filmographique depuis une quinzaine d’années. Valérie Jouve: au périmètre des abords V.J : « Je suis fascinée par la ville, par un espace insaisissable. Aussi parce que je crois qu’aujourd’hui on voudrait saisir la ville dans son entier mais avec des outils qui ne laissent pas entrer l’indicible. On voudrait une ville que l’on puisse analyser. C’est cela que j’ai envie d’accompagner : le monde d’aujourd’hui. » Valérie Jouve questionne de la périphérie du regard, c’est-à-dire l’expérience d’une vision qui ne soit pas statique mais en mouvement. Le déplacement de la caméra induit toujours un mouvement, bien, mais je parle d’une mise en branle plus ample, qui ouvre une brèche dans la perspective. La perspective traditionnelle, à un point de fuite, implique l’immobilité du spectateur et une position idéale. Le film Grand Littoral par exemple, fait la part belle au fortuit, au récurrent, à ce qui se passe dans le bord, dans le flou au-delà du point focal. Il montre la nature dans ses intimités, c’est-à-dire non pas comme un panorama, un paysage, non pas comme des points de vue ou des portions cadrées, mais dans le flux de son appropriation par les gens. Riverains, passants, pique-niqueurs, coureur, chacun y pioche une part qui n’est pas territorialement définie. L’appropriation est tout autre : habitée, habitus, habitudes… elle revêt autant de figures que d’habitants. Comme cet homme habitué à suivre tel sentier, qui continue la même trajectoire, même si pour cela il doit enjamber les parapets de l’autoroute. « De plus en plus contraint et de moins en moins concerné par ces vastes encadrements, l’individu s’en détache sans pouvoir en sortir, et il lui reste à ruser avec eux, à « faire des coups », à trouver dans la mégalopole électrotechnicisée et informatisée « l’art » des chasseurs ou des ruraux de naguère », dit Michel de Certeau (in L’invention du quotidien, 1. Arts de faire, p LII, édition Folio essais, Gallimard, 1990). Valérie Jouve fait plus que montrer cette capacité rusée à s’approprier et à détourner le système dominant, pour, sans bruit mais avec pugnacité, inventer son quotidien. Grand Littoral est une traversée qui ouvre des brèches dans le documentaire, qui introduit au cœur du réel des fictions qui se dessinent comme des portraits, de lieux, de personnes et qui dans le flux tendu efficace de la production donne le temps. Dans ses photographies de personnes dans la ville, Valérie Jouve cadre de telle manière qu’ils deviennent personnages, ce ne sont plus des portraits de tel ou tel mais d’un corps en situation, informé par son contexte. Ils sont « personnages » car ils font événement, c’est à dire que leur présence modifie le contexte dans lequel ils apparaissent. En cela, ils font histoire. Quelque chose se joue entre l’intimité d’un corps, son possible exil intérieur, et l’extériorité d’un espace, d’une lumière que l’artiste saisi. « L’inscription sociologique de ses photographies est un trait sur lequel nombre de commentateurs se sont accordés. Du protocole régulier qui ordonne ses prises de vue (un fond urbain, un personnage figé sur un fond urbain, un personnage sur fond abstrait) jusqu’à son emploi de titres génériques (Les Situations, Les Personnages, Les Passants,…), un ensemble de récurrences dans son travail confirme cette approche. Son énoncé? D’une brutale franchise : une figure y est le fruit de ses conditions d’apparition, la somme attendue des éléments qui la constituent et qu’elle désigne là derrière elle, l’image affichant la tension d’une aliénation constitutive. « Pour de semblable figure, point de salut hors de l’espace conçu et construit par les maîtres » avance Jean-Pierre Rehm. Cependant l’auteur parle plus loin d’un « infime séisme », qu’on pourrait nommé « brèche », que Valérie Jouve sait introduire dans ses images, un souffle, un écart entre l’homme et son contexte, qui permet d’imaginer d’autres possibles. www.valeriejouve.com