13-05-2009

Stephane Bouquet

Il y a cette histoire célèbre racontée par Pline l’Ancien : une jeune femme de Corinthe savait que son amant partait pour la guerre. Elle dessina le contour de son ombre. Très vite, elle n’eut plus que l’ombre à aimer. Le corps restait sur le champ de bataille. C’est le mythe d’origine de la peinture en Occident. Le mythe d’origine de la poésie lui ressemble. Orphée choisit de se retourner. D’une certaine façon, tout cela est vrai. C’est-à-dire que le poème est une conséquence de la mort. Il a le but d’être un tombeau général à tout ce qui passe, même si cela n’a aucune importance. D’une autre façon, j’ai lu il y a peu cette phrase d’Andrea Zanzotto : « Il n’est pas risqué de dire que la fin dernière de la poésie est de recréer la condition édénique, et qu’une expérience paradisiaque, le “paradisiaque”, est le mirage plus ou moins avoué de tout poète. » Je cite cette phrase 1 – parce qu’elle m’est arrivé récemment et que la poésie n’a guère d’autres fonctions que de noter ce qui arrive ; 2 – parce qu’elle me semble vrai. Ensuite, bien sûr, à chacun son paradis. J’ai longtemps cru que le paradis était fait de mots (le mot frère, par exemple, ou le mot rue.) Mais j’ai finalement changé d’avis. Il me semble aujourd’hui que le paradis est faits de phrases, et de conversations, et d’une façon d’habiter ce que Socrate appelle (ou ce que Platon dit que Socrate appelle) « notre cité de paroles. » Il me semble aujourd’hui que la plus belle poésie est celle qui arriverait à dire, à sa façon : va me chercher un café, s’il te plaît. Et l’autre se lèverait, et irait. Bibliographie Dans l’année de cet âge, Champ Vallon, 2001 Un monde existe, Champ Vallon, 2002 Le Mot frère, Champ Vallon, 2005 Un peuple, Champ Vallon, 2007