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18-01-2017

Clarisse Herrenschmidt

Vivent les banalités revisitées ! Nous vivons une révolution dans les signes – ma foi, tout le monde le sait. Le robot remplace l’homme, on n’écrit plus à la main, Underwood a disparu, la monnaie c’est du vent numérique. Pour le meilleur et pour le pire : comme toujours. Reste à comprendre l’archéologie de notre bouleversement sémiologique. Tout le monde est d’accord : elle remonte à l’invention de l’écriture. Où ? En Mésopotamie : ce sont les comptables qui y sont parvenus. Nous sommes liés par les signes à une bonne part du monde ; l’invention de l’écriture en Mésopotamie vers -3300 fait gonfler un fleuve sémiologique qui s’étend vers l’Est (Inde, Royaumes hindouisés) et vers l’Ouest (Égypte ancienne, Méditerranée, Europe, etc). Mais il est d’autres marées de signes : celle des Chinois suivis de leurs proches (Corée, Japon) et celle des Mayas, dont il ne sera pas question. Après l’invention mésopotamienne première, l’histoire des signes écrits (déployée en cunéiformes, hiéroglyphes, caractères phéniciens, grecs) a-t-elle continué sans renouvellement ? Non. Il y eut encore une secousse sémiologique : l’invention de la monnaie frappée vers -600 en Ionie grecque. La monnaie ? Hé bien oui : elle constitua une façon d’écrire des nombres sans la langue et ses lettres… Voilà qui nous introduira à ce qui arriva à partir de 1938 grâce à Alan Turing et quelques autres : l’invention de l’ordinateur qui ne reconnaît que deux signaux binaires que nous appelons 0 et 1. À cette histoire, il y a une double morale. La manifestation de nombres a guidé le tsunami des signes écrits depuis 5300 ans… Ne soyons pas seulement les héritiers des savants antiques : soyons leurs compagnons avertis ! Clarisse Herrenschmidt est née à Strasbourg en 1946, elle a fait ses études d’histoire de l’art et de sanskrit dans cette bonne ville jusqu’en 1967, d’où elle partit pour apprendre des langues exotiques aux Langues Orientales et pour continuer à se former en archéologie et en linguistique. Des engagements archéologiques lui permirent de travailler en Roumanie, en Syrie et en Afghanistan : elle en est revenue persuadée de sa nullité dans cette branche et ayant appris trois mots de persan. On oblique donc vers les études iraniennes, on tâte des langues depuis l’avestique (-1000 ?) jusqu’au persan moderne. Elle rentre au CNRS en 1979 et l’histoire ancienne de l’Iran l’occupe, sa religion, ses usages sociaux et littéraires, ses relations avec ses voisins (Grèce, monde biblique, Mésopotamie). Parallèlement, au début des années 80, des parutions attirent son regard sur le phénomène graphique ; or cette question était assez délaissée par les Sciences humaines et sociales. Bref il fallut s’y mettre : 25 ans plus tard, il en sort un livre Les Trois Écritures. Langue, nombre, code. Paris, Gallimard, 2007, 510 p. : un voyage depuis la Mésopotamie de 3300 avant notre ère jusqu’à l’an 2000.
Image : tablette d'écriture cunéiforme de l'âge de bronze, trouvée en Syrie.